• Une culture du viol à la française

    Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner »

     

    « La culture du viol touche toutes les cultures, tous les pays. Elle présente cependant des particularités bien spécifiques selon le milieu dans lequel elle s’exprime et se développe. En France, chaque fois que la question des violences sexuelles est posée dans le débat public, les mêmes réticences s’expriment. Certains s’élèvent pour dénoncer l’horrible moralisme réactionnaire qui voudrait condamner la liberté sexuelle si chèrement acquise, nuire à l’identité amoureuse nationale en important le puritanisme au pays des libertés. Avec un vocable bien choisi et une certaine hypocrisie, on évoque l’amour à la française en termes de galanterie, de courtoisie ou de libertinage. On loue nos traditions, l’attention portée aux femmes et la sophistication de nos jeux de séduction. Derrière ce charmant vocabulaire, la réalité est beaucoup moins glamour. »

     

    Dans cet essai documenté et novateur, l’autrice analyse et définit les violences sexuelles, déboulonne toutes nos idées reçues et bat en brèche l’argumentaire déresponsabilisant les violeurs. Elle insiste sur les spécificités hexagonales du concept de « culture du viol », démythifie le patrimoine littéraire et artistique, et démontre, point par point, qu’il est possible de déconstruire les stéréotypes de genre et d’éduquer les hommes à ne pas violer.

    Une culture du viol à la française

    Extrait de Une culture du viol à la française Valérie Rey-Robert (Éditions Libertalia, 2019-2020)

     Préface à l’édition 2020                                                                  Depuis la publication de la première édition d’Une culture du viol à la française, la question qui m’a été le plus souvent posée a été : « Qu’est-ce qui a changé depuis #MeToo ? » Toutes celles et ceux qui m’interrogeaient semblaient penser que les choses avaient réellement changé et de manière forcément positive.                                                                                                  Il me semble malheureusement que la réalité est beau-coup plus nuancée.  Un premier constat est que dans toutes les présentations ou conférences que j’ai pu faire autour de mon livre ou des violences sexuelles, plus de 90 % du public était constitué de femmes. Une anecdote éclairante : il y avait un jour un repas dans le lieu où j’allais intervenir. Deux femmes ont demandé à leur voisin de table s’il comptait assister à la conférence, il a répondu « ne pas être concerné ». Et c’est bien le problème face auquel nous peinons à trouver une solution : les hommes dans leur immense majorité ont du mal à s’intéresser aux violences sexuelles. Ce serait « un pro-blème de femmes ». Mais alors, si toutes les femmes doivent s’intéresser aux violences sexuelles, y compris celles qui n’ont pas été violées, pourquoi les hommes ne devraient-ils pas s’y intéresser également, y compris ceux qui ne sont pas des violeurs ? Pourquoi cette charge devrait reposer sur les femmes seulement?                                                                                                                                                     Je parle beaucoup dans ce livre d’un sondage effectué par Ipsos pour l’association Mémoire traumatique. Il a été réalisé à nouveau l’an dernier et les résultats ont peu changé : les Françaises continuent à avoir de nombreuses idées reçues sur les violences sexuelles. Alors certes, la parole des victimes – de certaines victimes disons – se  libère. Mais à quel prix ? L’actrice Adèle Haenel le dit elle-même ; elle a parlé parce qu’elle est désormais une actrice reconnue, qu’elle a le poids économique et les ressources pour s’exprimer sans trop en payer le prix. Il en est de même pour Vanessa Springora. D’autres femmes ont pu, grâce à #MeToo, identifier qu’elles avaient été victimes de violences sexuelles. Nombre d’entre elles ont compris qu’elles avaient vécu des situations qui n’étaient peut-être pas pénalement condamnables mais qu’elles n’avaient ni souhaitées ni désirées.                                                                                                          Soyons claires une fois pour toutes : il n’a jamais été question de judiciariser tous les comportements sexuels, mais de faire comprendre qu’un homme n’a pas à faire des avances sexuelles non sollicitées à une femme. Les femmes vivent quotidiennement des situations où elles sont rame-nées à l’état d’objet sexuel ; elles ont longtemps pensé que c’était normal, qu’on ne pouvait rien y faire. Nous commençons tout juste à concevoir que cette situation doit cesser. Mais elle ne pourra cesser sans que les hommes hétéro-sexuels interrogent leur propre comportement, et c’est là que les choses se compliquent. En 2020, pour beaucoup d’hommes, les accusations portées contre leurs congénères restent plus choquantes que les viols subis par les femmes. #MeToo n’a pas débouché sur une véritable interrogation sociale sur l’hétérosexualité – c’est-à-dire la façon dont sont socialement envisagés les rapports sexuels entre hommes et femmes – et la part d’oppression qu’elle peut comporter. Nous l’avons vu en janvier 2020 lorsque les médias ont reparlé de la pédocriminalité de Gabriel Matzneff ; cela aurait pu être l’occasion de s’interroger sur les violences sexuelles commises sur des enfants et le lieu principal où sont commis ces crimes (la famille). Bien peu en ont parlé et la plupart en sont restés à une version sensationnaliste de la pédocriminalité, bien loin de la réalité.                                                                                                                       Le retour de bâton s’est aussi fait sentir toute cette année. Une étude américaine le montre d’ailleurs : depuis #MeToo des employeurs américains seront moins enclins à recruter des femmes de peur d’être accusés de harcèlement sexuel.                                                                                                                    S’il est donc beaucoup trop tôt pour parler de changements structurels profonds concernant #MeToo, en l’absence d’une politique nationale ambitieuse de lutte contre les violences sexuelles, nous devons rester prudentes quant à toute évolution positive sur le sujet. Une évolution se mesure sur des années, pas sur quelques mois ; l’augmentation du nombre de plaintes enregistrées doit se vérifier sur la durée, tout comme leur meilleur traitement. Les hommes doivent se remettre en cause dans leur comportement, leurs silences complices face aux agresseurs sexuels et leurs choix de combat : s’opposer aux violences sexuelles plutôt qu’aux féministes luttant contre ces violences.
     

     


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